lundi 23 février 2015

A propos du docu-fiction de France 5 sur la sortie de l'euro




A propos du docu-fiction de France 5 sur la sortie de l'euro

Par Cochin




   Après en avoir entendu parlé, j'ai décidé de regarder le docu-fiction sur une sortie de l'euro que France 5 a diffusé mardi dernier. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne brille pas par sa finesse.
   Passons sur le format en lui-même, celui du docu-fiction, qui n'est pas sans poser problème parce qu'il présente comme réel ce qui n'est jamais qu'une hypothèse et abouti ainsi à semer la confusion dans l'esprit du téléspectateur. À ce titre, un simple documentaire ou même un débat entre partisans et adversaires de la fin de la monnaie unique aurait été préférable.
   C'est d'ailleurs sans doute la forme qui aurait été choisie par les auteurs de ce programme s'ils avaient voulu réaliser une émission sans parti pris laissant chacun se faire son avis en écoutant les arguments des uns et des autres. Mais, là est bien le problème : il s'agissait d'un docu-fiction à charge, dont le seul but était de faire passer passer la crise des années 30 pour une promenade de santé à côté de ce que la France affronterait en cas de sortie de l'euro.

Des partisans d'une sortie de l'euro sous-représentés

   Témoigne de ce parti pris la sous-représentation des partisans d'une sortie de l'euro. Si J. Sapir n'est pas trop mal loti, il se retrouve en effet bien isolé et a de toute façon bien moins la parole que l'irremplaçable J. Attali, dont la qualité de la pensée et la finesse des analyses ont toujours su sauver la France depuis maintenant plus de trente ans qu'il conseille tous nos gouvernants, de droite comme de gauche (voilà au passage quelque chose qui apporte de l'eau au moulin de ceux qui, à l'instar d'un J.-C. Michéa, considèrent que l'opposition droite/gauche est largement fictive aujourd'hui et que nous avons désormais affaire à un régime d'« alternance unique »).
   Et au-delà de J. Sapir ? N. Dupont-Aignan apparaît brièvement à deux reprises, dont la première fois juste avant M. Le Pen (de manière à bien montrer que tout cela, c'est la même chose ; mais on ne s'étonnera plus du procédé, dont J.-L. Mélenchon a lui-même régulièrement à pâtir). Par ailleurs, aucune personnalité de gauche n'apparaît pour critiquer la monnaie unique (alors que, oui, il en existe, même si, de même d'ailleurs qu'à droite, elles restent pour l'instant minoritaires). Interroger J.-P. Chevènement aurait à ce titre été judicieux.
   Du côté des partisans de la monnaie unique, honneur est rendu à F. Baroin, qui vient nous expliquer, chiffres grandiloquents à l'appui (mais on ne nous dira jamais qui a sorti de si beaux chiffres ni comment ils ont été produits), que la France connaîtrait sans l'euro le chômage de masse et des faillites à répétition (choses qui, bien entendu, n'existent pas sous le régime de la monnaie unique, qui nous a apporté une prospérité que le monde entier nous envie).

De graves problèmes factuels

   À côté de ces problèmes posés par le fait que la parole soit quasi exclusivement donnée à des partisans de la monnaie unique, il faut surtout noter de graves problèmes factuels, qui montrent la faiblesse de l'analyse qui sous-tend ce docu-fiction.
   Le premier et le plus grave d'entre eux vient du fait que, dans le scénario envisagé, la France serait seule, avec l'Italie, à quitter la monnaie unique. Il est pourtant évident que si la France et l'Italie quittaient la monnaie unique, celle-ci imploserait à très court terme, ne serait-ce que parce que les dévaluations des monnaies de ces deux pays augmenteraient fortement leur compétitivité par rapport aux économies des pays restés dans l'euro (le docu-fiction reconnaît d'ailleurs lui-même ce très fort gain de compétitivité) : des pays comme l'Espagne ou la Belgique seraient contraints de choisir entre sortir de la monnaie unique et y rester en voyant leur industrie et leur agriculture être littéralement saignées à blanc par les concurrences française et italienne. Dès lors, expliquer qu'en cas de sortie de la monnaie unique la France deviendrait le mouton noir de l'Europe ne tient pas.
   Le scénario proposé n'est donc pas conforme à ce qui pourrait bien se passer. Cela n'est d'ailleurs pas très étonnant lorsque l'on voit les inexactitudes qui parsèment l'émission et qui montrent un certain amateurisme de la part de ses producteurs. Ainsi, il nous est par exemple expliqué que la loi de 1973 a interdit à l’État d'emprunter à la Banque de France, ce qui est une idée fausse quoique répandu (ce qui, au passage, ne signifie pas que cette loi ait été une bonne loi, mais les problèmes qu'elle pose sont autres). C'est en effet le traité de Mastricht qui va rendre cela impossible.
   Passons enfin rapidement, car c'est presque anecdotique, sur le mépris des Français montré par les auteurs du documentaire lorsqu'ils imaginent que les citoyens choisiraient pour illustrer les nouveaux billets de franc la figure de Dany Boon. On reste abasourdi devant tant de bêtise…

   En résumé, ce docu-fiction tient davantage de la fiction que du documentaire, tant les fondements sur lesquels il s'appuie sont fragiles. Il ne s'agit en réalité que d'une des manières dont le système actuel chercher à se légitimer en défendant à tout prix la monnaie unique et en montrant tous les malheurs qui s'abattraient sur la France si celle-ci venait à disparaître. Et, même cela, il ne le fait que de manière très imparfaite, puisqu'il oublie de mentionner les invasions de sauterelles, les eaux de la Seine changées en sang et la mort des premiers nés…

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