dimanche 8 mars 2015

L'industrie française face à la financiarisation du capitalisme



L'industrie française face à la financiarisation du capitalisme


par Cochin




   La semaine dernière, France 2 a diffusé deux émissions consacrées au rôle de la finance dans l'économie française : un numéro de son magazine « Cash investigation », intitulé « Quand les actionnaires s'en prennent à vos emplois », et le documentaire « Du fer à la finance, l'empire Wendel », qui évoquait l'un des anciens fleurons de la métallurgie française, aujourd'hui reconverti en société d'investissement.
   Ces deux programmes, dont la qualité tranche avec la grande médiocrité du documentaire consacré il y a peu par le service public à la sortie de l'euro (pour son analyse par notre blog, c'est ici), ont eu le mérite d'illustrer de manière particulièrement frappante des phénomènes bien connus. Ils montrent notamment les ravages causés par le passage d'un capitalisme à dominante industrielle, recherchant le profit sur le long terme, à un capitalisme financier, plus préoccupé par des gains rapides au risque de compromettre l'avenir.

Du capitalisme industriel au capitalisme financier

   Cette financiarisation de notre économie est bien illustrée par le fait que la France est aujourd'hui le troisième pays où les actionnaires sont le mieux rémunérés, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni (en 2014, les entreprises du CAC 40 ont ainsi versé 46 milliards d'euros à leurs actionnaires). Une telle générosité alors même que la crise touche toujours fortement l'économie française est liée principalement à la mise en place de politiques sacrifiant l'avenir des entreprises pour assurer des gains rapides.
   « Cash Investigation » a ainsi porté son attention sur Sanofi, deuxième entreprise du CAC 40 et troisième entreprise pharmaceutique du monde. Cet exemple éclaire particulièrement bien les dérives actuelles dont souffre l'économie française. Dans le but de faire monter rapidement le cours de l'action, les dirigeants de l'entreprise ont en effet fait le choix de diminuer très fortement les investissements et de supprimer des emplois (4 000 en France entre 2008 et 2013). Ainsi, si sur le court terme Sanofi peut paraître gagnante, cela se fait non seulement aux dépens de ses salariés, mais aussi au détriment de l'avenir même de l'entreprise, puisque, comme le signale son ancien patron, la baisse des investissements et du nombre d'employés a pour conséquence de nuire à la recherche et notamment à la mise au point de nouveaux médicaments.
   La stratégie suivie par les actuels dirigeants de Sanofi est loin d'être un cas unique. Elle est encouragée par le poids de plus en plus important pris par les actionnaires dans la gestion des entreprises. En France, en 1980, les dividendes versés aux actionnaires constituaient ainsi la moitié des sommes consacrées aux investissements par les entreprises ; aujourd'hui, le rapport s'est inversé puisqu'ils représentent deux fois et demi les investissements.

Le rôle des fonds d'investissement

   Cet abandon d'une logique industrielle au profit d'une logique purement financière est bien illustré par le poids de plus en plus important acquis par les fonds d'investissement dans l'économie mondiale. Le documentaire de France 2 sur l'entreprise Wendel montre ainsi comment, sous la direction d'Ernest-Antoine Seillière, l'entreprise Wendel, ancien fleuron de la métallurgie française, a opéré une mue pour devenir une des principales sociétés d'investissement françaises.
   Les méthodes utilisées pour obtenir des revenus sur le court terme sont les mêmes que celles utilisées par certains fonds de pensions américains : une entreprise est rachetée grâce à l'apport par le fonds d'une petite partie de sa valeur, le reste étant obtenu par le recours au crédit (c'est ce que l'on appelle un LBO) ; ensuite, il s'agit de pressurer l'entreprise pendant plusieurs années pour qu'elle dégage très rapidement les fonds nécessaires au remboursement du crédit, avant de la revendre.
   Une telle politique est menée bien évidemment au détriment des investissements et de l'emploi, c'est-à-dire de l'avenir même de l'entreprise en question, qui est littéralement pillée.

La nécessité d'une action politique en rupture avec le capitalisme financier triomphant

   Il est ainsi beaucoup trop facile d'affirmer que la désindustrialisation de notre pays serait due à ses coûts salariaux ou à l'importance des taux d'imposition. Le problème est bien davantage lié au développement d'une logique de prédation, qui vise à une rentabilité maximale sur le court terme en sacrifiant l'avenir des entreprises. À ce titre, le fait qu'Ernest-Antoine Seillière, qui est le symbole vivant du sacrifice de l'industrie à la finance, ait pu diriger pendant huit ans le principal syndicat patronal français montre à quel point les propositions du MEDEF sont loin de représenter les intérêts économiques de notre pays.
   Interrogé par Élise Lucet à propos de l'importance des dividendes accordés par Sanofi (alors que, depuis 2011, les bénéfices de l'entreprise ont diminué, les dividendes qu'elle a versés ont augmenté), le ministre de l'économie Emmanuel Macron lui répond : « Je pense qu'il faut avoir un discours très clair ».
   On est cependant en droit de penser qu'un discours ne suffira pas et qu'il serait temps de passer aux actes.

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